mardi 3 avril 2012

“Frapper n’est pas aimer” de Natacha Henry

Je viens de terminer “Frapper n’est pas aimer” de Natacha HENRY que je vous recommande, elle y évoque la réalité des violences conjugales au moyen de multiples exemples, comment cela s'installe, pourquoi les femmes restent, puis partent, les affaires qui vont jusqu'au meurtre, mais aussi la question de l'hébergement, des enfants, du travail, des perspectives quand elles changent de vie, de l'autonomie des femmes, tout ceci avec des cas concrets. C'est intéressant. Les extraits ci-dessous m'ont plu, il s'agit du traitement médiatique de la violence conjugale. Ces titres "passionnels" qui me/nous font bondir ! Grâce à ce livre, j'ai mieux compris ce qui "cloche" avec ces titres !  



EXTRAITS [la mise en caractères gras et en couleur est la mienne]...
(p. 124) "Drames de l’amour ?
De l’importance du vocabulaire
Amoureux éconduit, drame de la passion, drame de la rupture, différend conjugal, ou crime passionnel... Le vocabulaire utilisé dans la presse laisse à penser que le grand responsable des fémicides et autres catastrophes, c’est l’amour. Ainsi la condamnation par la cour d’assises de l’Hérault d’un homme qui a assassiné son ancienne maîtresse, une enseignante infirmière, est traitée dans un quotidien local sous ce titre : “Vingt ans de prison pour un drame de l’amour”.

Les femmes battues qui lisent “amour” quand elles pensent “terrorisme”, se sentent bien seules :
“Si on croit que c’est par romantisme que mon mari m’a envoyée aux urgences, qui sera de mon côté ? Qui va m’aider ?”.

On sourira de l’anachronisme de ce vocabulaire. “Amoureux éconduit”, “rival”, “se refuser à lui” ne se trouvent plus guère que dans les récits de violences sexistes. Il illustre le décalage entre la réalité des évènements et leur restranscription médiatique. Car, dans la vraie vie, personne ne vous dit : “Mon amoureux éconduit m’a appelée hier”.
“Tiens, voilà Régine et ton rival !”
“Avec Farid, on a parfois des différends”
Et rarement : “J’ai passé une soirée sympa avec Jean-Luc mais je me suis refusée à lui”.

“Une adolescente de 16 ans est enlevée puis, sous les yeux des gendarmes, tuée par son amoureux éconduit” titre un grand quotidien.
Un amoureux éconduit, quand on a 16 ans, c’est un garçon qui envoie des mots d’amour, balbutie des compliments, et demande à une amie d’intercéder en sa faveur. La version Facebook de celui qui, autrefois, glissait des poèmes dans des enveloppes parfumées.

Mais dans cette affaire, devinez, il avait 43 ans. (...) était fiché par la police... avait été convoqué deux fois pour “agression sexuelle sur mineur” et venait de violer une fille de 19 ans.
Il écrit à Aurélie : “Je vais nous foutre en l’air” et commence à la harceler. La mère d’Aurélie porte plainte. Il débarque avec un couteau, ligote la mère, l’endort avec de l’éther et viole la fille. Elle s’échappe mais en pleine rue “il fait feu sur Aurélie avant de se tirer une balle dans la tête”. Une seule question : la mère d’Aurélie se souvient-elle de lui comme “l’amoureux éconduit” de sa fille ? J’en doute. [... suit une très longue série de cas horriblement similaires !]
Si un homme tue sa conjointe, ce n’est jamais par romantisme : c’est parce qu’il est orgueilleux et violent, qu’il ne supporte pas qu’elle échappe à sa domination. Comme le formule Maryvonne Chapalain, déléguée du procureur à Paris “ce n’est pas un crime passionnel, c’est un crime possessionnel”.

S’il la tue après qu’elle l’a quitté, c’est souvent à cause des violences qu’elle est partie. Un tel assassin a forcément, c’est prouvé, été violent auparavant. Il importe donc de vérifier si elle (ou une autre) avait déjà porté plainte.
[et pour conclure, un extrait de la page 310] : “Il faut qu’en droit, en médecine, en sciences sociales et dans les écoles de journalisme, on enseigne aux étudiant-es qu’il ne s’agit ni de soucis de couple ni de drames passionnels : frapper n’est pas aimer.”  [fin des citations]

>> “Frapper n’est pas aimer”, de Natacha HENRY, enquête sur les violences conjugales en France, éd. Denoël (2010) 316 pages, 18 euros. Vidéo de présentation du livre par N. Henry sur France Inter à voir ICI...